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Channel: Un peu de droit »» Christine Chatillon
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Billet sur l’animal, suite : où nous sommes tous à la fois des animaux et des poussières d’étoile, et où l’humilité reste le meilleur moyen de se rendre digne.

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Dans un précédent billet, j’avais pu souligner l’inutilité tant théorique que pratique du nouvel article 515-14 du Code civil, aux termes duquel les animaux sont désormais dans le Code phare reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité mais restant néanmoins soumis au régime des biens corporels. Pour résumer, l’amendement voté est inutile pratiquement, car le régime des animaux reste celui des biens corporels ; et il est inutile même théoriquement car une loi de 1976 avait déjà reconnu la nature d’être sensible de l’animal. Désormais, j’aimerais faire un point sur la nature et le régime idéaux que l’on pourrait réserver à l’animal.

Avant tout, il convient de rappeler un point, qui est que le droit est une technique inventée par les humains pour réguler leurs relations sociales. Le droit n’existe pas, en tout cas pas tel quel, à l’état de nature, comme on aime à le dire. C’est donc une invention des hommes faite pour les hommes, pour qu’ils réussissent à mettre un peu d’ordre dans leurs relations. Là où le bât blesse, c’est que l’homme a besoin de son environnement pour exister. Du coup, insensiblement, il intègre cet environnement dans ses propres règles du jeu. C’est ainsi que les mondes minéral, végétal et animal font partie, bien malgré eux, du monde juridique des hommes. L’homme a besoin de pierres pour construire ses maisons, de végétaux et d’animaux pour se nourrir, pour se vêtir, pour le servir, et du coup, la loi du plus fort l’emporte, et comme trop souvent, la différence finit par se faire remplacer par la hiérarchie. Autrement dit, parce que l’homme, cela a été prouvé, est l’animal le plus mal adapté qui soit au monde qui l’entoure, il a développé des trésors d’ingéniosité pour se croire métamorphosé en super héros de la nature. Du super héros au dieu il n’y a qu’un pas, bien aisé à franchir. Et voilà, ni une ni deux, que ceux qui ne se pensent pas dieux eux-mêmes sont persuadés que le Dieu créateur auquel ils croient les a rendus, selon la formule restée célèbre de Descartes, « comme maîtres et possesseurs de la nature ». En résumé, parce que l’homme est anthropocentré, il se croit le dieu des animaux. CQFD.

CQFD ? N’y a-t-il pas, cependant, erreur dans le raisonnement ? Qui a dit qu’il fallait remplacer la différence par la hiérarchie ? Qui a dit que les hommes étaient maîtres et possesseurs de la nature ? Qui a dit que l’intelligence, la conscience, la sensibilité, d’une part étaient un critère de supériorité, d’autre part n’étaient pas partagés par d’autres espèces ? Des études ont montré que l’animal le mieux doté au niveau du cerveau est l’orque, pas l’homme ; que, au moins tous les vertébrés, ont une sensibilité, et même, on le sait aujourd’hui, une conscience ; que l’homme n’est pas au sommet sur l’échelle de l’intelligence. Il n’est qu’à voir le degré d’organisation des abeilles, des rats, des dauphins, des éléphants…Beaucoup sont d’ailleurs des sociétés matriarcales (les abeilles, les dauphins, les éléphants….). Ceci explique-t-il cela, notamment sur le degré de pacificité de ces sociétés ? À méditer. Toujours est-il qu’aucun des critères justificatifs de la soi-disant supériorité de l’homme ne tient plus la route. L’homme n’est pas le seul dans la nature à être conscient, organisé, intelligent. Et quand bien même, cela serait-il un critère de supériorité ? Il y a deux points, ici, que je voudrais souligner : d’une part, l’homme n’est pas isolé dans la nature, et certainement pas au-dessus des autres espèces ; d’autre part, quand bien même il le serait, cela justifierait-il une hiérarchie qui est autre chose que la différence ? Vous aurez compris mon opinion : rien ne justifie la prééminence de l’homme sur les autres espèces, et la façon dont il les traite est indigne de leur valeur et de leur sensibilité.

Cela est dit.

Maintenant, comment réagit-on en droit par rapport à cette vérité que seuls les aveugles du cœur et de l’esprit peuvent nier ? Le droit connaît une summa divisio, qui est celle des personnes et des choses. Ainsi, logiquement, soit les animaux sont des personnes, soit ils sont des choses. Entre les deux, point de place.

Point de place ? Déjà, le nouvel amendement, en disposant que l’animal est un « être » doué de sensibilité, certes soumis au régime des biens corporels, ouvre une brèche : celle où les biens ne sont plus nécessairement des choses, mais peuvent être des « êtres », sans plus de précision. Voilà qui ne fait pas un statut. Ou plutôt ne change rien, dès lors que les animaux sont soumis au régime des biens corporels. Tout cela, c’est pour épater la galerie. Ensuite, que choisir entre personne et chose, pour qualifier l’animal ? Pour définir cela, il faut en revenir aux fondamentaux, autrement dit revenir aux sources de la personne et de la chose, en tant que ces notions sont des catégories juridiques.

La personne juridique est une technique d’identification et de représentation pour agir sur la scène du droit. Elle ne se confond pas avec la personne humaine, même si à l’heure actuelle en droit français toutes les personnes humaines sont des personnes juridiques. L’esclavage et la mort civile étant abolis, c’est un fait. Aujourd’hui c’est aussi un droit : toute personne humaine a, de droit, la personnalité juridique. Mais l’inverse n’est pas vrai : il existe, en effet, des personnes juridiques qui ne sont pas des personnes humaines, parce que des groupements de personnes (associations, sociétés) ou de biens (fondations). Une bonne idée de se figurer ce qu’est la personnalité juridique est l’étymologie du mot. Persona en latin désignait en effet le masque des comédiens, qui leur permettait de se faire identifier, et, grâce à une technique de porte-voix, de se faire entendre du public. C’est exactement la même chose en droit : la personne juridique, c’est celle qui est actrice sur la scène du droit, et c’est elle qui peut être entendue, grâce notamment au moyen des actions en justice.

Les choses, quant à elles, sont tout ce qui n’est pas les personnes. C’est l’autre des personnes, c’est l’objet, par rapport au sujet. Donc tout ce qui n’est pas personne est, du moins était jusqu’à présent, chose. Où donc placer ces « êtres » que sont les animaux ? Pour le moment, c’est en droit un flou artistique.

Il est certain que l’animal est plus qu’une chose. C’est vrai biologiquement, c’est vrai philosophiquement, et, du moins en apparence, c’est vrai aussi juridiquement. Puisqu’il est un « être » doué de sensibilité, quoique soumis au régime des biens corporels.

Lynx_lynx_poing

Faut-il néanmoins en faire une personne, comme le prônent certains auteurs, le Professeur Jean-Pierre Marguénaud en tête ? Personnellement, je reconnais la personnalité animale dans ma vie quotidienne. Comme je l’ai déjà dit, seuls les sadiques et les imbéciles peuvent nier cela. Faut-il pour autant reconnaître aux animaux une personnalité juridique ? Le problème, c’est que la personnalité ouvre sur la responsabilité. On voit d’ici le hic : le spectre des procès aux animaux se rapprocherait tel un nuage sombre sur le droit actuel, il est vrai, bien peu lumineux. Or ce n’est certainement pas ce nuage que voudraient voir se rapprocher les défenseurs de la cause animale. Les procès aux cochons accusés de manger les bébés sur la voie publique au Moyen-Âge, les chiens des nobles guillotinés comme leurs maîtres… tout cela suffit. Il est vrai également que les procès aux animaux prennent d’autres formes aujourd’hui, lorsque l’on extermine les vaches accusées de l’encéphalite spongiforme bovine, les moutons de la fièvre aphteuse, et les volatiles de la grippe aviaire…. Les massacres perpétrés au nom de la sécurité sanitaire sont absolument scandaleux. Qui oserait dire après cela que les procès envers les animaux n’existent plus ? Je retire. Il n’y a même pas procès, il est vrai, mais, dans ces cas, extermination de masse « sans autre forme de procès » justement, comme on dit.

Alors, considérant tout cela, quelle nature juridique envisager pour l’animal ? Comme souvent, lorsqu’une question reste sans réponse, c’est qu’elle est mal posée. A-t-on vraiment besoin de qualifier pour protéger ? S’il est une chose que montre le nouvel article 515-14 du Code civil, c’est que notion et régime peuvent tout à fait être découplés. Et qu’en définitive, c’est le régime qui compte. Car pour les animaux, peut leur chaut d’être qualifiés d’êtres sensibles, dès lors qu’ils sont soumis au régime des biens corporels.

Il faut que le régime suive la qualification, sinon cela n’a aucun sens. La loi actuelle n’a aucun sens. Il faut avoir le courage de le reconnaître.

Alors, déplacer la frontière ? La faire passer entre le vivant et l’inerte, comme le suggère le Professeur Rémy Libchaber ? Mais la frontière n’existe pas entre le vivant et l’inerte, ainsi que nous le prouve la science. La vie ne commence pas, elle continue, et nous sommes, sérieusement, tous faits de poussière d’étoiles. Alors où placer la frontière ? Encore une fois, c’est sans doute mal poser la question. Sans doute faut-il considérer l’aptitude à la souffrance, avant toute autre considération. L’argument du libre arbitre, de la volonté libre et autonome, relève à la fois de l’ombre cartésienne qui fait tant de mal aux animaux, et du délire anthropocentrique de l’homme. Il faut replacer l’homme à sa vraie place : non pas celle d’un maître et possesseur de la nature, mais celle d’un animal parmi tant d’autres, et qui plus est, bien mal adapté. Si l’éthique a un sens, alors qu’on l’applique aux autres. Connais les autres pour te connaître toi-même, pourrait-on dire. Les autres, ce sont nos semblables, nos frères, les animaux. Car l’homme est un animal, ne l’oublions pas. Les animaux sont le miroir de nous-mêmes. Les maltraiter, c’est passer à côté de soi. Les bien traiter, c’est peut-être le meilleur moyen d’atteindre ce mot qu’il faut prononcer, enfin, et qui est dans toutes les bouches : la dignité humaine.


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