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Channel: Un peu de droit »» Christine Chatillon
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Le récent amendement concernant l’animal : quand la loi se mêle de faire des aphorismes tout ensemble des paradoxes

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Le récent amendement concernant l’animal : quand la loi se mêle de faire des aphorismes tout ensemble des paradoxes (la plume d’Oscar Wilde en moins…) et où Shylock rencontre Tartuffe.

Le 15 avril 2014, un amendement a été voté introduisant au Code civil un article 515-14, posant que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ».

Concrètement, qu’est-ce que cet amendement change dans notre droit positif ?

Honnêtement ? Rien.

Pourquoi cela ?

Tout d’abord, on soulignera le paradoxe entre notion et régime. En droit, on distingue en effet méthodiquement, pour une catégorie donnée, la notion et le régime. Lorsqu’une chose ou un être est appréhendé par le droit, celui-ci commence déjà par le qualifier : la chose ou l’être entre dans une catégorie de notion juridique. De ce travail de qualification découlera le régime de l’objet appréhendé par le droit : à chaque notion juridique son régime propre. À cela il faut ajouter que la division fondamentale du droit positif, ce que l’on appelle pompeusement de l’expression latine la « summa divisio », est celle qui distingue les personnes et les choses. Pourquoi dis-je : « les choses » et non : « les biens » ? Parce que toute chose n’est pas un bien. Pour devenir juridiquement un bien, il faut en effet pour la chose être appropriable et commercialisable (commercialisable, c’est-à-dire pouvant faire l’objet d’une convention – c’est le critère qui est donné par l’article 1128 du Code civil). Or il existe des choses non appropriables (les choses communes, par exemple, dont l’usage est commun à tous), et/ou non commercialisables (certains produits illicites parce que dangereux, par exemple).

Donc toutes les choses ne sont pas des biens. Maintenant, tous les biens sont-ils nécessairement des choses ? Jusqu’à ce qu’on s’interroge sur le cas de l’animal, la réponse était claire : oui, seules les choses pouvaient être des biens. De ce point de vue, tabouret, table, chaise, veaux, vaches, cochons, couvée, c’était tout un : des choses, puisque pas des personnes. En effet il existe deux types de personnes en droit : les personnes physiques, qui sont les êtres humains, et les personnes morales, qui sont un ensemble de personnes physiques (sociétés, associations) ou, cela fût-il surprenant, de biens (fondations) se voyant conférer la personnalité juridique. Désormais les animaux ne savent plus à quel saint se vouer : Persona, sainte patronne des personnes, ou Res, saint patron des choses ? Ni l’un ni l’autre, les pauvres, il semble bien. Les animaux naviguent entre deux eaux : la mer fermée des personnes et l’océan infini des choses. Entre les deux, le chœur du législateur balance. Reconnaître que l’animal est un être vivant doué de sensibilité, c’est le rapprocher de l’humain (on rappellera pour mémoire que l’homme en réalité est un animal, il appartient biologiquement à cette catégorie : nous sommes des animaux, ni des végétaux ni des minéraux, mais pas non plus une catégorie à part. Eh oui, certains en tomberont peut-être de leur chaise (ou de leur arbre) : nous sommes, tels les chimpanzés, les bonobos, les gorilles et les orang-outans, des grands singes). Mais le législateur ne fait pas pour autant des animaux des personnes. Logiquement, a contrario, comme on aime à dire en droit, ils sont donc des choses.

C’est là que le nouvel article 515-14 du Code civil se montre (fût-ce malgré lui) particulièrement subtil. Car il dit que les animaux sont « soumis au régime des biens corporels ». « Soumis au régime de », ne veut pas dire « être ». Nuance appréciable. Les animaux ne seraient-ils donc plus des choses ? La loi le laisse entendre. Ils sont « des êtres », sans plus de précision. Pauvres hères dans le monde étrangement cloisonné et kafkaïen du droit.

Reste une certitude : toutes ces questions, hélas seuls les humains peuvent se payer le luxe de se les poser. Car pour les animaux, on l’a dit, concrètement rien ne change : leur régime reste celui des biens. Beaucoup de bruit pour rien, en somme…

Rien ne change non plus, ensuite, parce que même dans son aspect purement déclaratif, l’article 515-14 du Code civil n’apporte rien de nouveau sous le soleil juridique (si le droit peut encore être illuminé, ce qui reste, dans la période de pullulement et de complexité des normes actuelles, une gageure). En effet, une loi du 10 juillet 1976 avait déjà posé que l’animal est un être sensible devant être placé dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. La loi de 1976 avait déjà donc dit que l’animal est un être sensible, ce que seuls les sadiques et les imbéciles peuvent nier, et plus, même : la loi de 1976 faisait pour l’animal une avancée au niveau du régime, puisqu’elle posait qu’il devait être placé dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. Il y avait donc alors un souci de protection de l’animal, le début d’une prise de conscience que les conditions de vie de l’animal doivent répondre à certains impératifs, que l’homme se doit de respecter. Las, rien de cela n’est repris dans l’amendement nouvellement voté : tel un couperet, l’article 515-14 du Code civil assène que les animaux, certes êtres vivants doués de sensibilité (paroles, paroles, paroles….) restent « soumis au régime des biens corporels ».

Tigre

Certes, « sous réserve des lois qui les protègent ». Mais quelle réalité cela reflète-t-il en pratique ?

En effet, enfin, ce « sous réserve des lois qui les protègent » laisse entendre que, s’ils sont soumis au régime des biens, les animaux sont tout de même protégés par la loi : ne soyons pas malintentionné envers le législateur, être doué de raison, certes, mais lui aussi de sensibilité… Sauf que. Sauf que nous avons tous (en tout cas tous ceux qui vivent en compagnie d’un animal, voire de plusieurs) en contemplation le cas spécifique de l’animal domestique. À chacun, sauf pour lui à être particulièrement hermétique de la comprenette, il apparaîtra clairement et avec évidence que son chat, son chien, son cheval, son hamster, et même son poisson rouge, sont des êtres doués de sensibilité. Parodiant Shylock en un sanglot, les intéressés pourraient s’exclamer : « Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? ». Et Shakespeare d’ajouter, et les animaux le pourraient aussi : « Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous sommes semblables à vous en tout le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela ».

Dans l’univers impitoyable du droit, cette jungle où règne la loi de l’homme, le statut de l’animal domestique est l’arbre qui cache la forêt. Cette forêt, c’est celle où vivent tous les autres animaux : l’animal sauvage, que l’on a le droit, même réglementé, de chasser ; l’animal de laboratoire, que l’on a le droit, même (pauvrement) réglementé, de torturer et de sacrifier ; l’animal de spectacle, que l’on a le droit d’exhiber et d’humilier, parfois même aussi de torturer et de tuer (songeons à la corrida, toujours tolérée en France au nom du respect des traditions, quand la Catalogne l’a déjà interdite) ; l’animal d’élevage, qu’il soit ou non industriel (mais bien évidemment c’est pire lorsqu’il s’agit d’élevage industriel, chacun le sait), que l’on a le droit de tuer (parfois de façon barbare) et de manger. Qui peut rigoureusement dire après cela, la tête haute mais les yeux souvent baissés, que l’animal est protégé en droit ? Le législateur a bien figure humaine, oui, cela est évident : parce qu’il porte le masque de l’hypocrisie. Là où les animaux peuvent reprendre à leur compte les paroles de Shylock, c’est pour s’adresser en réalité à Tartuffe. Si l’homme est soi-disant l’animal doué de parole, il se rend délibérément sourd à ce qu’Élisabeth de Fontenay a, dans une belle formule, titre de la somme qu’elle a consacrée à l’étude de la question animale en philosophie, nommé « le silence des bêtes ».

Alors que faire ? Rien, si l’on s’accommode de la situation actuelle, et cela semble seoir au législateur comme à la majorité des citoyens. Continuer le combat, pour les partisans de la cause animale. Réussira-t-on un jour à trouver une qualification et un régime juridiques compatibles avec les désirs de l’homme et une amélioration de la situation de l’animal ? L’histoire reste encore en grande partie à écrire. L’article 515-14 du Code civil n’est pas le premier jet de cette histoire, et ce n’en est certainement pas la meilleure phrase. La suite nous le dira, à nous d’écrire le roman juridique des animaux, jusqu’ici bien sombre histoire, et qui, comme tous les romans, sont, selon la belle formule de Stendhal, « un miroir que l’on promène le long du chemin ».

À nous d’écrire ce roman, c’est-à-dire vous, nous, tous. La suite au prochain numéro, pour des propositions tournées vers l’avenir.


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